Digital printing, Ink on paper, Μελάνι σε χαρτί, Ψηφιακή εκτύπωση

Agni Chronopoulou – A la limite du visible et de l’invisible / Manos Stefanidis

Le plus important.
Lorsque l’image devient l’égale de la poésie. Et quand toutes deux, image et parole, sont assimilées à la musique. C’est alors que les questions deviennent plus importantes que les réponses et que les énigmes ne supportent pas d’interprétations.

D’autre part, l’art commence à partir du plus simple, de ce qui parait insignifiant à la plupart des gens, il bâtit sa maison avec les ultimes lignes laissées par les vagues sur le rivage, avec les traces de craie sur le tableau noir, avec les gris du ciel quand il se couvre, avec les jaunes d’avant la tempête, avec les fragments … Avec ce qui semble inutile.

Agni Chronopoulou construit ses images avec le mélange étrange, mais familier, de photographies et de dessins, avec des miettes de mémoire, avec les tessons du passé qui sauvèrent un visage à moitié mangé ici, un regard à moitié caché par l’ombre là-bas, un fragment de marbre qui était autrefois un dieu plus loin. Ou un homme beau comme un dieu ou un être onirique et donc, de facto, égal à un dieu.

Et tout ceci est réalisé avec de petites grandeurs, avec des gestes sûrs, calmes qui révèlent autant qu’ils cachent afin que dure, bien plus que de la facile poudre aux yeux, l’infiniment plus précieuse nostalgie.

Ce qui prédomine dans ces essais d’Agni Chronopoulou qui étudient le clair-obscur et la ligne- écriture, c’est le profond désir de vivre elle-même ce présent déprimant, non pas en rêvant de l’avenir mais, au contraire, du passé. Là, au delà des sources de la beauté, où des voiles et des couches de siècles, des chutes d’eau transparentes et des eaux stagnantes cachent l’image “non faite de main d’homme”. Là où la beauté n’est pas une apparition ou une vision mais un matériau qui a été scellé par la plus profonde spiritualité.

Tel est le cadeau que l’artiste veut offrir au spectateur.

Quelques questions:
-Est-ce que nous voyons la réalité seulement lorsque nous donnons du sens aux événements? Est-ce que, autrement dit, les événements existent exclusivement lorsque ils sont chargés de sens par leur observateur?
-La disparition de l’image essentielle qui domine notre époque et qui est due à l’invasion d’images sans significations, ne débouche-t-elle pas sur un forme de mort du monde?
-L’art plastique ne constitue-t-il pas une forme de salvateur du monde, du moins dans sa dimension humaniste?

Je me réfère à cet art (la peinture et sa descendante directe, la photographie), qui fonctionne sans discontinuer comme un “accoucheur”, vu qu’il continue de mettre en lumière les significations invisibles et les idées de ce monde. C’est exactement là que réside sa supériorité. Voila son chemin privilégié. Il l’a toujours été: visualiser l’invisible. Ici réside, de toute manière, l’ambition profonde d’Agni Chronopoulou.

Quelques réponses encore…
En art, je crois, tout est permis, tout est excusé, à une seule condition: que ce ne soit pas ennuyeux. Et bien entendu qu’on ne reproduise pas le modèle esthétique dominant de tel ou tel pouvoir, politique ou spirituel. Cette liberté est nécessaire à la mise en route du processus de la création et à l’élargissement de l’aventure artistique. Quo vadis madame la peinture, quo vadis madame la photographie, à l’époque de la domination de l’image électronique et de la production massive de clones optiques (simulacres)?
Les modernistes recherchaient dès le début du XXème siècle exclusivement la forme entièrement nouvelle, la révolution au travers de la forme radicale. Aujourd’hui, en revanche, au travers des formes ou symboles acquis, nous recherchons à nouveau un contenu radicalement neuf. Ce qui redonnera du sens non seulement à l’art contemporain mais à notre vie elle-même. La proposition d’Agni Chronopoulou contient, de plus, des éléments conceptuels car elle s’adresse et à la vue, et à l’esprit. Surtout parce-qu’elle tente, par le visible, de mettre en lumière les ombres épaisses où se cache toute réalité des choses…

Quoiqu’il en soit, la majorité des gens vivent la réalité. Une minorité la crée. Nous vivons chacun notre petite histoire personnelle au contact des autres, chacun portant sa propre pierre selon sa force. Mais nous participons tous également à l’histoire au sens large de l’espèce qui s’écrit parallèlement à nous et même, souvent, à notre insu. Là réside le pari… Que chacun vive son quotidien de manière poétique, tout en étant la matériau et non pion de l’histoire. Seul l’art peut réaliser cette ambition.

P.S. Dans les photographies d’Agni Chronopoulou il y a souvent une trouvaille: un voile transparent, un “kredemnon”, un foulard qu’Homère transmet aux jours d’aujourd’hui, recouvre les visages de ses héros. L’environnement est en général aquatique. Et c’est alors que survient le miracle, alors que ce voile dissimule les visages, il les révèle tout a la fois.

Manos Stefanidis
11/6/2014